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Cour de Justice, marchés in house et opérations internes horizontales

La Cour de Justice a rendu, le 8 mai 2014, un arrêt sur la notion de marchés dits « in house », qui échappent au champ d’application de la réglementation européenne sur les marchés publics.


La réglementation sur les marchés publics découle essentiellement de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services.


De manière générale, entrent dans le champ d’application de cette directive l’ensemble des « marchés publics », définis comme étant « des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services au sens de la présente directive ».


Depuis une quinzaine d’années, c'est-à-dire depuis l’arrêt Teckal du 19 novembre 1999, la Cour européenne de Justice considère que certains marchés conclus par des pouvoirs adjudicateurs et des opérateurs économiques (entrepreneurs, fournisseurs ou prestataires de services), échappent à ce champ d’application.


Dans l’arrêt Teckal, la Cour de Justice a énoncé, d’une part, que « s'agissant de l'existence d'un contrat, le juge national doit vérifier s'il y a eu une convention entre deux personnes distinctes » et, d’autre part, qu’il n’y a pas de contrat lorsque le pouvoir adjudicateur accomplit les tâches d’intérêt public qui lui incombent par ses propres moyens, administratifs, techniques ou autres.


Forte de ce constat, la Cour de Justice a énoncé qu’il n’y avait pas de contrat de marché public « dans l'hypothèse où, à la fois, [le pouvoir adjudicateur] exerce sur [l’opérateur économique] un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services et où cette personne réalise l'essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent ». Pour bénéficier de l’exception « in house », le contrôle exercé par le pouvoir adjudicateur sur l’opérateur économique doit lui permettre « d’influencer les décisions de ladite société » de manière déterminante « tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de cette société ».


A défaut de « contrat » de marché public, puisque le pouvoir adjudicateur et l’opérateur économique ne sont en réalité pas distincts l’un de l’autre, la législation sur les marchés publics ne s’applique pas.


Il s’agit de l’exception dite « in house »


Cette jurisprudence a depuis lors été confirmée à de multiples reprises, notamment dans les arrêts Commission/Espagne du 13 janvier 2005 (C‑84/03), Auroux du 18 janvier 2007(C -220/05), Parking Brixen du 17 juillet 2008 (C-458/03) et Sea du 10 septembre 2009 (C‑573/07).


La Cour a par la suite étendu la portée de l’exception in house, en décidant que celle-ci pouvait également s’appliquer lorsque le contrôle sur la société adjudicataire du marché est exercé conjointement par plusieurs pouvoirs adjudicateurs (voir notamment l’arrêt Coditel Brabant, 13 nov. 2008, C‑324/07).


Ce dernier aspect de la jurisprudence de la Cour de Justice est particulièrement intéressant dans le cadre des contrats qui peuvent être conclus entre des communes et des intercommunales pures (100 % publiques) dont elles font parties. Il est en effet clair que chaque commune prise individuellement n’est généralement pas en mesure d’influer seule sur les décisions d’une intercommunale, mais que les communes membres peuvent « conjointement » exercer une telle influence.


C’est dans ce contexte jurisprudentiel bien connu des praticiens que la Cour d’appel d’Hambourg a posé à la Cour Européenne de Justice, en janvier 2013, une question préjudicielle pertinente.


L’affaire concerne un contrat conclu dans le cadre d’une relation tripartite entre la « Technische Universität Hamburg-Harburg », la Ville de Hambourg et une société HIS.


L’université en question est un organisme public dépendant de la Ville de Hambourg. Elle dispose d’une large autonomie de gestion, mais fait tout de même l’objet d’un contrôle de tutelle de la Ville de Hambourg quant à l’utilisation des crédits qui lui sont alloués.


La société HIS est une société à responsabilité limitée de droit privé, mais dont le capital est détenu par les pouvoirs publics, un tiers par la République fédérale d’Allemagne et deux tiers par les seize Länder allemands, dont la Ville de Hambourg. Son objet social est d’ « assister les établissements publics d’enseignement supérieur et les administrations compétentes dans leurs efforts pour accomplir de manière rationnelle et efficace leur mission d’enseignement supérieur ». Dans ce contexte, elle leur fournit notamment des systèmes informatiques.


La Ville de Hambourg exerce donc une forme de contrôle à la fois sur l’université et sur HIS.


Dans le cadre de la passation d’un important marché informatique, l’université a choisi de contracter directement avec HIS, en revendiquant l’application de l’exception « in house » déduite de la jurisprudence de la Cour de Justice.


Un concurrent de HIS a toutefois introduit un recours contre cette décision d’attribution. Il a obtenu gain de cause en première instance, mais un appel a été introduit contre le premier jugement.

La Cour d’appel de Hambourg, estimant que la jurisprudence européenne n’avait pas encore abordé cette question, a décidé d’interroger la Cour de Justice.


En substance, la juridiction allemande demandait à la Cour de préciser si l’exception in house pouvait s’appliquer à « un marché dans le cadre duquel, certes, l'entité adjudicatrice n'exerce pas sur l'adjudicataire un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services, mais tant l'entité adjudicatrice que l'adjudicataire sont contrôlés par le même organisme, lequel constitue pour sa part un pouvoir adjudicateur au sens de la directive 2004/18 et l'entité adjudicatrice et l'adjudicataire exercent l'essentiel de leur activité pour leur organisme commun (opération interne horizontale) ».


Cette question était assurément intéressante. Transposée en une situation de droit belge, elle pouvait évoquer les relations qui existent entre deux organismes d’intérêt public dépendant du même niveau de pouvoir, par exemple deux organismes fédéraux visés dans la loi du 16 mars 1954 relative au contrôle de certains organismes d’intérêt public. Les deux organismes en question sont distincts, disposent d’une personnalité juridique propre, n’exercent aucun pouvoir l’un sur l’autre, mais constituent fondamentalement des services administratifs créés et subordonnés au même pouvoir adjudicateur (l’Etat belge). L’un de ces organismes doit-il, dans ce contexte, respecter la législation sur les marchés publics s’il entend confier un marché à l’autre ?


La Cour de Justice, dans son arrêt du 8 mai 2014 (affaire C-15/13), a refusé une nouvelle extension de la jurisprudence Teckal. Les motifs essentiels de son arrêt son les suivants :


« 26. La Cour a davantage explicité la notion de «contrôle analogue», en relevant qu’il doit s’agir de la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d’exercer une influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de l’entité attributaire et que le contrôle exercé par le pouvoir adjudicateur doit être effectif, structurel et fonctionnel (voir, en ce sens, arrêt Econord, C‑182/11 et C‑183/11, EU:C:2012:758, point 27 ainsi que jurisprudence citée).


27. En outre, la Cour a reconnu que, sous certaines conditions, le «contrôle analogue» peut être exercé conjointement par plusieurs autorités publiques détenant en commun l’entité attributaire (voir, en ce sens, arrêt Econord, EU:C:2012:758, points 28 à 31 ainsi que jurisprudence citée).


28. Dans l’affaire au principal, il est constant qu’il n’existe aucun rapport de contrôle entre l’université, pouvoir adjudicateur, et HIS, entité attributaire. En effet, l’université ne détient aucune participation dans le capital de cette entité et n’a aucun représentant légal dans les organes de direction de celle-ci.


29. Par conséquent, la raison qui justifie la reconnaissance de l’exception en ce qui concerne les attributions dites «in house», à savoir l’existence d’un lien interne particulier entre le pouvoir adjudicateur et l’entité attributaire, est absente dans une situation telle que celle de l’affaire au principal.


30. Dès lors, une telle situation ne saurait être couverte par ladite exception, sauf à étendre les limites de l’application de celle-ci, clairement circonscrites par la jurisprudence de la Cour, d’une manière susceptible de réduire significativement la portée du principe énoncé au point 24 du présent arrêt ».


Accessoirement, la Cour a également relevé que le contrôle exercé par la Ville de Hambourg sur l’université n’était en tout état de cause pas suffisant – c'est-à-dire par équivalent au contrôle exercé par la Ville sur ses propres services - pour justifier l’application de l’exception in house.


Transposé à la situation interne belge décrite plus haut, le raisonnement de la Cour signifie bien qu’un organisme d’intérêt public dépendant de l’Etat fédéral ne peut décider de recourir aux services d’un autre organisme d’intérêt public de l’Etat sans procéder à une mise en concurrence.


La Cour européenne de Justice a clairement choisi la solution la plus conforme au principe, imposé par la directive, de la mise en concurrence.


Si l’on en revient cependant aux fondements mêmes de l’exception in house, à savoir la volonté de permettre aux pouvoirs adjudicateurs de s’organiser en interne comme ils l’entendent pour accomplir leurs tâches d’intérêt public, y compris en créant des services à la personnalité juridique distincte, il n’est pas certain que la Cour de Justice ait choisi la solution la plus logique.

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