Exception d'illégalité - la Cour de cassation confirme sa jurisprudence

La Cour de cassation a confirmé, dans un arrêt du 8 janvier 2015, sa jurisprudence quant à l’absence de limitation dans le temps de l’obligation de contrôle de la légalité des actes administratifs qu’impose aux cours et tribunaux l’article 159 de la Constitution.
L’article 159 de la Constitution énonce que « les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu'autant qu'ils seront conformes aux lois ».
Cet article donne aux juridictions contentieuses le pouvoir et l’obligation d’écarter des litiges qui leurs sont soumis les actes administratifs irréguliers.
L’effet de cet article est en principe plus limité que celui qui résulte d’une annulation d’un acte par le Conseil d’Etat. L’acte administratif écarté en application de l’article 159, même s’il devient inapplicable au litige concerné, subsiste dans l’ordonnancement juridique. En dehors du litige concerné, il continue donc de produire des effets.
La Cour de cassation fait une application large de l’article 159 de la Constitution. Pour la Cour, les juridictions doivent vérifier la légalité interne et la légalité externe de tout acte administratif sur lequel est fondée une demande, une défense ou une exception (voir par exemple, Cass., 10 sept. 2007, S.07.0003.F, juridat). Tout acte administratif dont l’effet est invoqué par une partie doit pouvoir faire l’objet de ce contrôle de légalité. L’article 159 ne comportant par ailleurs aucune règle de prescription, les cours et tribunaux doivent écarter un acte administratif irrégulier même s’il est très ancien, sans avoir égard à un quelconque impératif de sécurité juridique.
La jurisprudence du Conseil d’Etat, qui fait également application de l’ « exception d’illégalité » prévue par l’article 159 de la Constitution, diverge sur cette dernière question de celle de la Cour de cassation.
Pour le Conseil d’Etat, l’exception d’illégalité ne peut être soulevée à l’égard des actes individuels (par opposition aux actes réglementaires) lorsque ceux-ci sont devenus « définitifs », c'est-à-dire lorsqu’aucun recours en annulation de ces actes n’a été introduit dans le délai imposé par la loi (soit 60 jours à dater de la publication, de la notification ou de la prise de connaissance de cet acte).
Cette limitation de l’effet de l’article 159 de la Constitution dans le cadre du contentieux de l’annulation est désormais justifiée comme suit par la plus haute juridiction administrative (C.E., Harlez, n° 215.678 du 10 octobre 2011):
« Considérant (…) que l'article 159 de la Constitution dispose que les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu'autant qu'ils seront conformes aux lois; que cette disposition ne précise pas la durée d'application de la prescription qu'elle édicte; que, dans le silence d'une norme écrite, les principes généraux du droit en comblent les lacunes; qu'en vertu des exigences résultant du principe général de sécurité juridique, le contrôle de légalité incident, prévu par l'article 159 de la Constitution, ne trouve plus à s'appliquer à l'égard des actes administratifs, déterminant les situations juridiques individuelles, après l'expiration du délai dans lequel ils ont pu effectivement être contestés par la voie d'un recours en annulation; qu'à ce moment, la nécessité d'assurer la stabilité juridique de ces situations implique que leur légalité ne peut plus être mise en cause; que, par contre, des exigences de sécurité juridique, comparables à celles prévalant pour les décisions individuelles, ne s'imposent pas concernant les actes administratifs qui prescrivent des normes générales et impersonnelles; que, par ailleurs, ceux-ci sont susceptibles de fonder l'adoption de nombreuses décisions individuelles qui seront entachées par l'illégalité de ces actes réglementaires; que l'illicéité n'étant pas circonscrite mais étant susceptible de s'étendre à une multiplicité de décisions nouvelles, la possibilité de la contester, à titre incident, doit demeurer même lorsque l'acte réglementaire ne peut plus être annulé (…) ».
La Cour d’appel de Liège, par un arrêt du 27 novembre 2012, a tenté de faire application de la jurisprudence du Conseil d’Etat.
La Cour d’appel se prononçait dans le cadre d’une action en responsabilité civile intentée par une personne privée contre l’Etat belge. La demanderesse d’indemnisation faisait valoir, aussi bien pour justifier la recevabilité de son action sur le plan de la prescription que pour démontrer son bien-fondé, une reconnaissance de dette signée quelques années auparavant par le Ministre de la défense.
L’Etat belge exceptait toutefois l’irrégularité de cette reconnaissance de dette, le Ministre de la défense étant – compte tenu des circonstances de la cause – incompétent pour accomplir un tel acte au nom de l’Etat.
Dans son arrêt, la Cour d’appel de Liège a rejeté l’argumentation de l’Etat belge, en se référant essentiellement à la logique généralement suivie par le Conseil d’Etat, elle-même fondée sur le principe général de sécurité juridique. Pour la Cour d’appel, l’Etat belge ne pouvait invoquer l’illégalité d’un acte administratif individuel (en l’occurrence une reconnaissance de dette) en dehors du délai de recours en annulation de cet acte.
La Cour de cassation, ne s’avouant décidément pas convaincue par la jurisprudence de la haute juridiction administrative, a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Liège, jugeant que cette dernière, en refusant de contrôler la légalité d’un acte administratif qui servait pourtant à la fois à justifier la recevabilité de l’action et son fondement, violait l’article 159 de la Constitution (Cass., 8 janvier 2015, C.13.0546.F) .
La Cour de cassation a donc refusé de faire évoluer sa jurisprudence en tenant compte du principe général de sécurité juridique.
La particularité de cette affaire est peut-être toutefois que l’Etat belge exceptait de l’illégalité d’un acte émanant de l’un de ses organes pour justifier le rejet de l’action en justice.
L’article 159 de la Constitution étant essentiellement destiné à permettre aux administrés de lutter contre l’arbitraire administratif, il peut apparaître paradoxal qu’il soit soulevé par la personne morale de droit public responsable de l’illégalité. Il est toutefois constant que l’article 159 de la Constitution n’empêche pas une autorité administrative d’invoquer l’illégalité d’une décision qu’elle a elle-même prise (http://www.const-court.be/public/f/2007/2007-121f.pdf).